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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 20:02

L’absence

Très chère amie,

Mon ouvrage est enfin terminé, la maisonnée est endormie. J’ai remis quelques bûches dans la cheminée et me suis installée à côté pour écrire. Oublions pour un soir le raccommodage.

Dieu que cet hiver a été long mais je crois bien qu’il est fini. Les oiseaux volent en piaillant autour de la maison et ce matin j’ai aperçu les écureuils jouant à se poursuivre de branche en branche.

Au milieu de l’hiver, on a retrouvé Victor le maréchal-ferrant mort dans son lit. C’était un bien brave homme mais il avait l’âge et s’en est allé tranquillement sans souffrir. C’est sa fille, la Toinette, qui vient conter maintenant aux veillées. Je n’aime guère ses histoires, toujours des sorcières machiavéliques qui veulent faire disparaître des princesses ou des paysannes laides et boiteuses qui préparent des élixirs censés rendre les plus beaux gars du pays amoureux d’elles. Je dois te raconter un événement extraordinaire : une troupe de saltimbanques s’est installée pour un soir dans l’école des filles. Le décor a été vite planté. On a recouvert le grand tableau noir d’un rideau de velours purpurin et tendu deux draps de chaque côté de l’estrade. Presque tout le village était là, tu penses… quelle affaire ! Un fakir coiffé d’un turban rouge orné d’une énorme pierre ressemblant à un diamant prédisait l’avenir aux spectateurs, aidé d’un assistant qui parcourait l’assemblée et encourageait le public à participer. Certains ne comprenaient pas grand- chose mais riaient simplement de voir rire les autres. Tu imagines…quel charivari !

Je rends souvent visite à tes parents. Anne, ta mère me reçoit toujours avec ce petit sourire un peu triste. Elle hoche doucement la tête quand je parle de toi, ton père à ce moment-là se lève et sort en bougonnant quelque chose que je ne comprends pas. Toutefois il me semble qu’au fond de ses yeux la colère s’est estompée.

Cette année, nous avons eu bien de la neige, les enfants s’en sont donné à cœur-joie sur le chemin de l’école. Ils rentraient le soir transis et rouges de froid mais si heureux.

Tous les jeudis j’attèle la carriole pour mener nos deux mères au marché de Liboussou. A l’abri de la capote, je les entends qui chuchotent. Elles ont toujours quelque chose à se raconter.

Elie et Jeanne, les voisins, malgré leur âge, descendent toujours dans la plaine aider leurs enfants aux travaux de la ferme. Quant  à Pierre, il peine à entretenir ses champs, lui si méticuleux a maintenant besoin de l’aide des plus jeunes.

Bien souvent les trois compères, Jean, André et Pierre partent à la chasse. Cela me fait toujours sourire. Le fusil sur l’épaule, le béret sur la tête et la canne à la main ils cheminent côte à côte, le pas traînant. Je crois bien qu’ils se racontent encore et encore leurs anciens exploits de chasseurs, du temps où ils rentraient la besace pleine. Aujourd’hui, elle est bien souvent vide mais ils sont trop vieux pour monter dans la palombière et la vue leur fait un peu défaut. Quand ils rentrent fatigués, ils enlèvent leurs godillots et réchauffent leurs pieds au bord de l’âtre. Ils restent un moment à contempler le feu sans rien dire en sirotant le vin chaud que je leur ai préparé. Parfois, ta mère qui rentre d’une longue promenade dans la campagne nous rejoint. Elle a toujours aimé marcher et doit connaître tous les recoins des bois et des chemins. Il arrive que sa mère l’accompagne quand ses pieds ne la font pas souffrir et aussi Francine si le temps n’est pas trop incertain.

Le maître d’école me rend quelquefois visite, il me prête les nouveaux livres. Je vois bien qu’il attend que je lui parle de toi. Je le fais souvent et vois alors ses yeux pétiller. Il a certainement l’espoir de ton retour. Lui aussi prend soin de tes vieux parents. Il est plein d’attentions mais je comprends bien que cela ne te suffise pas et pèse bien peu à côté de la vie trépidante que tu as choisi de mener à la grande ville. Ton père finira bien par te pardonner cette fuite et l’instituteur s’amourachera sans doute un jour d’une autre fille. Les belles qui tournent autour de lui ne manquent pas mais il les décourage toujours avec beaucoup de courtoisie. Je dois cependant te dire, mon amie, que tu me manques et que nous serions tous si heureux de ton retour. Pour ma part, je ne souhaite que ton bonheur et s’il se trouve ailleurs, alors tu ne dois pas hésiter.

Le carillon vient de sonner, il est minuit et le sommeil me prend.

Je t’embrasse affectueusement.

 

Ton amie Eve

 

 

 

 

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