L’étoile des neiges ( IV e partie et fin )
l’érablière
L’hiver de leur vie fut long à se dissiper.....
Des années de vie difficile à être confrontés inlassablement à cette indigence et ce lourd fardeau de savoir leur petite grandissant loin d’eux !
Dix ans déjà !
Paul et Anna virent bientôt le printemps s’installer dans leur univers, malgré la brise du nord qui arrache quelques frissons sous le soleil, comme pour rappeler la morsure des épreuves.
A l’orée de la forêt, une habitation de planches et de rondins.
La masure où s’était réfugié le couple était méconnaissable: les abords, le sentier avaient été défrichés et rendaient ce lieu moins austère.
Une porte s’ouvrit. Une porte moustiquaire.
Une longue silhouette fine comme un mannequin apparut.
Un chien s’agita. Ce n’était pas Tochan
L’animal surveillait les alentours et réagissait à toute intrusion ...
Le vert puissant de la forêt d’épinettes absorbait la lumière de cette belle matinée ensoleillée.
Ce ruban lumineux se répandait comme un fleuve jusque sur le plateau qui tombait en falaise dans la rivière.
Un air parfumé par la fragrance balsamique des arbres enveloppait le pays. Derrière le bouquet d’églantiers, Paul surgit, la démarche sûre, sifflotant, une brassée de branches mortes contre sa poitrine.
Anna, sur le seuil, lui adressa un signe de la main. Elle le rejoignit à l’arrière de la petite maison de bois où Paul avait installé tout le matériel nécessaire au bon fonctionnement d’une érablière qui redonnait vie à cette cabane à sucre abandonnée depuis longtemps.
Plusieurs déplacements à la ville avaient été nécessaires pour l’achat de ce matériel.
Ainsi, prenait-il des nouvelles de la pension-école où grandissait Estelle.
La jeune fille allait sur ses douze ans!
Ce matin-là, Paul et Anna se rendirent à l’épicerie où étaient vendus les produits de transformation de l’eau d’érable : sirop, beurre, sucre.....La production prospérait.
Pour s’y rendre, Paul avait pu acheter un cheval attelé à une voiture où prenait place leur nouveau compagnon, Otchum.
L’attelage s’engageait sur le long chemin caillouteux qui serpentait à travers la forêt et croisait la route plus confortable qui conduisait à la ville.
En longeant ce sentier forestier, les rênes à la main, Paul renouait avec cet univers grisant, le temps du voyage.
Sa précédente activité de trappeur l’avait rendu réceptif au moindre souffle du vent. Il recevait les lumières et les odeurs avec une extrême concentration des sens. Chaque son _même le plus lointain_ pénétrait son esprit. Il se glissait dans le milieu forestier comme dans une enveloppe.
Il exprimait ses connaissances sans jamais prendre un air fanfaron.
Il était fier de présenter sa maison et le résultat de la transformation. Il avait étudié les emboitements, les encoches, la charpente ....Un vieil ouvrage qu’il avait consulté l’avait aidé pour le plan.
Cette réalisation restait un passage mémorable de sa vie !
Chaque mois, il déposait ses produits chez l’épicier qui lui avait toujours témoigné son soutien.
Anna vendait son artisanat ukrainien. Ainsi, pouvaient-ils acheter des vivres.
Ce jour-là, sur la vitre, une affiche: la représentation d’un ballet classique durant la semaine.
Ce soir –là, c’était l’antépénultième.
Anna, intéressée par le spectacle, supplia Paul de rester pour la nuit. Il acquiesça d’un signe de tête.
Un repas frugal pris à l’auberge, ils s’installèrent dans la salle communale où régnait une agitation particulière: vente de programmes, réglages divers, placement du public...
Peu à peu, la salle fut comble.
Une à une, les lumières s’éteignirent. Le rideau s’ouvrit sur une scène joliment décorée. Les premières notes de musique s’élevèrent sous la charpente. Sur un fond de nuit, une jeune ballerine fit son entrée. Une jupe de tulle bleu posée sur un justaucorps, elle esquissa ses premiers pas gravement, puis avec légèreté.
L’assistance retenait son souffle et demeurait impressionnée par la grâce de la jeune soliste qui transmettait son émotion.
Anna, troublée, prit la main de Paul.
Quelle extraordinaire ressemblance avec la petite fille qu’elle avait été!
Le public fut conquis par la grâce des courbes, l’envol des pointes, la légèreté des mouvements des dix danseuses du corps de ballet qui entrèrent sur scène.
Debout les spectateurs applaudirent d’enthousiasme, en réclamant un bis de la variation.
Une reprise de cette dernière partie emplit la salle d’allégresse. Le retour de la jeune soliste fut salué par une ovation.
Le rideau tomba. Paul et Anna se précipitèrent à l’arrière de la salle. Ils voulaient découvrir qui était cette belle danseuse à l’avenir prometteur!
Ils furent interceptés par le concierge à qui ils posèrent mille questions!
L’homme s’éloigna, puis revint quelques instants plus tard en compagnie d’une jeune femme qui se présenta:
__Bonsoir, je suis Madeleine Gagnon de la pension-école.
La jeune fille que vous venez de voir est une de nos protégées, Estelle LEONARD.
Depuis toujours, elle montre un grand talent pour la danse.
Le visage de d’Anna se figea. La ressemblance, le prénom Estelle !
C’en était trop pour elle !
__Nous avions une petite fille prénommée Estelle, rétorqua Paul.
Pour des raisons douloureuses, nous l’avons confiée aux bons soins de la pension-école, il y a plus de dix ans !
Madeleine blêmit en écoutant cette révélation.
Avait-elle, devant elle, les parents d’Estelle?
C’était un moment de gravité exceptionnel.
Paul révéla les conditions de séparation et d’abandon de leur petite fille.
Madeleine ne put répondre. Tout son être frémissait.
D’une voix grave, elle dit:
__Ce n’est ni le lieu, ni le moment pour en parler. Venez demain matin à la pension.
Le couple envahi par une vive émotion, ne put retenir ses larmes et rejoignit la chambre à l’auberge.
La nuit fut courte. Très tôt, les volets s’ouvrirent. Paul descendit le premier, sortit avec le chien et s’assura que le petit cheval avait eu sa “pitance”.
Ils prirent leur petit déjeuner hâtivement, le visage grave, les traits tirés.
Anna, silencieuse, fixait sa tasse de thé.
Les retrouvailles
Sur le perron de la pension-école, d’une main tremblante, Paul saisit le heurtoir de la lourde porte. Deux coups résonnèrent.
Madeleine les accueillit et les invita à s’asseoir dans le petit salon.
__Estelle dort encore, dit-elle.
C’est mieux .Nous serons plus à l’aise pour parler.
Paul raconta leur vie depuis le début. Madeleine dont les yeux se voilèrent très vite, était bouleversée par leur histoire. Puis vint l’instant d’évoquer l’abandon de leur enfant. Paul sanglotait.
Anna cacha son visage dans ses mains.
__C’est ma faute, je suis tombée malade! s’écria-t-elle.
__Pour moi, ce fut un immense bonheur de découvrir ce bébé, de voir grandir cette petite fille vive et enjouée, d’être émerveillée devant sa soif d’apprendre et ce don pour la danse !
Dans l’encadrement de la porte, Estelle apparut, ses longs cheveux défaits.....Elle semblait avoir tout entendu !
__Je rêvais tant de connaître mes vrais parents depuis si longtemps! dit-elle en s’élançant dans leurs bras.
Madeleine se retira afin de préserver cette intimité familiale.
Une heure plus tard, la famille retrouva la jeune éducatrice qui présenta la directrice. Cette dernière leur parla de toutes les vérifications nécessaires qui confirmeront leur identité.
___Est-ce que je pourrai aller voir où vivent mes parents ?demanda Estelle avec empressement.
___Oui, bien sûr, répondit Madeleine. Dès que les cours s’arrêteront, dans trois semaines, ton père viendra nous chercher.
J’ai la tutelle de votre fille jusqu’à sa majorité, ajouta-t-elle en s’adressant à Paul.
Auparavant, nous devrons mettre en place les formalités de visite que le juge établira et vérifiera, ainsi que les preuves de la naissance de votre fille...
S’en suivit un repas familial à l’auberge avec Madeleine qui aborda l’avenir d’Estelle.
__A la prochaine rentrée scolaire, votre fille ira à la pension-école de Montréal. Ses résultats scolaires sont exceptionnels. De plus, elle pourra poursuivre les cours de danse au conservatoire.
L’avenir leur souriait.....Une étoile brillait.....La même petite étoile trouvée, dans la neige, un soir d’hiver...
fin
DANY